Amarun
« Il y eu un temps où les créatures ne savaient pas communiquer entre
elles. Le poisson jaillissait hors de l'eau, les feuilles ne savaient pas s'accrocher
aux branches de l'arbre, les nuages pleuvaient sur les eaux et les eaux
s'enfuyaient vers le ciel. Les hommes et les femmes erraient dans ce désordre.
Toutes les créatures se sentaient seules et isolées.
Dans le lac salé de Huasipungo était
un oeuf, un gigantesque oeuf d'or. Dans cet oeuf, en gestation, était Amarun,
la grande mère Anaconda, qui dans son sommeil prénatal, apprenait tous les
langages. Le langage du poisson, des eaux, des nuages, des feuilles et des
arbres, des hommes et des femmes. »
Dès vendredi soir
nous sommes réunis pour définir un certain nombre de thèmes à aborder, de sites
à visiter, de questions à méditer, et de tâches à accomplir. Nous sommes entrés
dans ce travail par l'expérience vécue, quotidienne, la rencontre, souvent
fortuite, avec des acteurs territoriaux, ou organisée, avec des personnes ou
familles impliquées dans le processus global, et intéressées par le Havre
Ecologique.
Nous sommes allés à Buenoy mardi, le 23 septembre. Le jour était beau et chaud, propice à la marche, et en chemin nous avons commencé un petit repertoire des plantes utiles de la région. Buenoy, où est prévue la construction du Havre Ecologique, est aujourd'hui seulement occupé par quelques chevaux. Une fuite de grande importance au niveau de la prise d'acqueduc entraîne une déterioration du sol et du terrain qui à terme, par infiltration, peut entraîner un glissement de terrain, fréquents dans ces zones de pâturage de fort dénivelé où tous les arbres ont été enlevés. Premier problème...
Nous avons eu dans
la montagne une longue conversation, à partir de la simple question : où
allons-nous construire la maison? Buenoy comprend deux zones relativement
planes où la construction peut être envisagée. Cette question où? comment?
quand? nous a amené à étudier de près
les conditions actuelles de mise en oeuvre du Plan Vital Quindicocha.
Pour des raisons
complexes – historiques, personnelles, structurelles – le projet du Havre
Ecologique est actuellement soumis à un défaut de ressources humaines, auquel
s'ajoute de grandes incertitudes quant à la sosténibilité de l'écovillage.
L'agriculture, pour des raisons tout aussi complexes, ne peut pas vraiment être
envisagée comme facteur de sosténibilité à court terme : expérience, temps,
conditions climatiques, nature des sols, etc... C'est la raison pour laquelle
le « support économique » de l'ecoaldea serait plutôt de
nature touristique. Mais cela soulève le problème de la localisation de la
maison, du centre lui-même, du lieu d'accueil : Buenoy est une terre isolée et
relativement difficile d'accès. N'importe qui ne peut pas monter là haut...
De questionnements
en questionnements, voici où nous arrivons : nous sommes venus ici pour valider
et mettre en oeuvre les conditions de coopération entre BYAE et Ainanocan.
En une semaine nous avons jeté un éclairage nouveau et puissant sur la réalité
du projet de la
Fondation BYAE, qui à défaut de nous permettre cette
validation, nous amène à découvrir la nature véritable et opératoire de notre
alliance.
Je découvre que le
projet de la mission et ses objectifs ont été montés avec une grande
perspicacité, merci à nos assesseurs... Nous avons déjà commencé à faire
ressortir les éléments déterminants pour la réussite ou l'échec du programme.
Aujourd'hui, le problème majeur, voire grave d'un point de vue critique, est
que la communauté qui doit supporter et bénéficier de ce projet est fictive,
et ne connaît pas de système de communication réel. Mais fictive dans le cadre
de ce projet ne signifie pas fictive dans la globalité du système. Disons
plutôt que la communauté porteuse et bénéficaire du programme existe, mais
qu'elle n'est plus intégrée.
La validité du projet signifiait jusqu'à présent sa fiabilité administrative, économique, opérationnelle. Désormais, vérifier sa validité signifie plutôt vérifier que le Plan Vital est toujours signifiant au regard de la situation actuelle de la communauté.
La communauté
Quindicocha existe sous deux angles. Le premier, en tant que population de
cette région panamazonienne, vallée de Sibundoy et versants externes, soit
40.000 habitants. Le deuxième, en tant que regroupement de familles et de
personnes se reconnaissant dans l'action de l'Ecole Environnementale
Panamazonia (EAP) depuis 1992 et avant... Quindicocha est un nom, le nom
antique et traditionnel de cette lagune riche de légendes et d'histoires. Au
regard de ce qui vient d'être dit, le projet de coopération Ainanocan-BYAE
consiste à permettre que l'une et l'autre de ces « communautés
Quindicocha », l'une étant fractale et représentative de l'autre, se
reconnaissent comme telles.
Nous pourrions
aussi dire qu'il y a deux niveaux de désintégration : la crise
écologico-socio-culturelle décrite et caractérisée par l'EAP et le Plan Vital,
et la crise de l'héritage de l'EAP. En quelque sorte, la Fondation BYAE
souffre d'une crise de succession... Les groupes de l'EAP, destinés à être
réintégrés et recomposés, réinvestis dans le Plan Vital, se sont au cours des
quatre dernières années, séparés et orientés dans des directions divergentes –
non contradictoires, ou bien sont entrés littéralement en conflit.
Cela ouvre les
portes d'un de nos objectifs principaux : contribuer
au développement et à l'animation du lien social pour créer les conditions
d'équilibre du Havre Ecologique. La communauté Quindicocha existe, le Plan
Vital existe ainsi que ses principaux protagonistes : il ne nous reste qu'à les
réinvoquer. Rappel du caractère primordial, prioritaire, du travail
communautaire autour du projet Havre Ecologique, incluant les groupes de l'EAP,
les communautés indiennes, artisans, taitas, autorités coutumières, et les
autres acteurs territoriaux : société civile, institutions, paysans,
citadins... Ré-ouvrir le projet à la population.
Sans le travail
communautaire, les ressources pour construire la maison ne seront pas obtenues,
car Ainanocan n'a pas d'autre fonction que de soutenir un processus
communautaire. Si ce travail est fait la maison se construira d'elle même,
collectivement, et avec les ressources et outils nécessaires à son équilibre et
sa pérennité.
Cela consiste donc simplement en se souvenir de la raison d'être du Havre Ecologique. Mettre au monde Amarun...